Retour à Caramassaigne : entre forêts profondes et silences pelés

Il y a des sites qu’on ne cesse jamais de revisiter. Caramassaigne, au bout de l’île du Riou, est de ceux-là. Depuis plus de dix ans, je descends régulièrement le long de son tombant, happé par la profondeur, guidé par la promesse de ses forêts de gorgones rouges et de ses nuages d’anthias qui vibrent comme une pluie de flammes.

Hier encore, nous y sommes retournés. Mais cette fois, j’ai voulu dévier de la route habituelle, quitter les sentiers battus du récif pour chercher ailleurs, plus au sud, plus bas, là où la roche s’ouvre comme une porte vers le silence. L’exploration a tenu ses promesses au début : la richesse de la zone profonde, intacte, m’a saisi. Mais le retour dans les vingt mètres, pelé, désert, a laissé Greg, mon partenaire de plongée du jour, sur sa faim. C'est vrai qu'on a fait de plus belles plongées sur ce site. Mais on y a aussi vu l'effroyable effet du réchauffement climatique.

🌊 Partie technique – Caramassaigne, mode d’emploi

Plonger à Caramassaigne ne s’improvise pas. Le site, situé à l’extrémité Est de l’île du Riou, impose d’abord ses conditions :

  • Une météo parfaite : vent faible, houle quasi inexistante, car l’accès reste long et exposé.

  • Du temps : depuis l’Estaque, il faut compter une bonne traversée pour rejoindre le site, et l’organisation doit être sans faille.

  • Des plongeurs expérimentés : les parcours les plus riches dépassent largement les vingt mètres, avec des descentes qui flirtent avec les quarante, cinquante, voire soixante mètres pour les plus téméraires.

Hier, toutes les planètes étaient alignées. Céline assurait la sécurité surface avec son énergie et sa bonne humeur habituelles, Guy nous avait offert la logistique de son bateau, et Christophe, notre directeur de plongée, avait veillé à ce que tout s’organise comme la météo du jour : limpide et sans faille.

📍 Repères et géographie

Caramassaigne, c’est avant tout un tombant monumental, un mur qui plonge dans les grands fonds. La roche s'enfonce tout droit jusqu'à plus de soixante mètres. Les zones les plus visitées se trouvent au Nord de la pointe, le long du tombant qui fait face au Grand Congloué.

Les cartes 3D du SHOM montrent ces décrochés successifs : une architecture en gradins, qui fait tout l’intérêt du lieu… mais aussi son exigence. Malheureusement, ces données s'arrêtent juste avant la zone qui m'intéressait pour cette plongée.



Vue 3D à partir des données du SHOM 

En jaune : le parcours classique
En rouge : le parcours d'hier

🌬️ Conditions de plongée

Le site est exposé aux vents dominants et la houle peut rapidement compliquer la mise à l’eau. Les journées de mistral sont à proscrire : mieux vaut attendre le calme plat, quand la mer se fait miroir. C’est dans ces moments rares que Caramassaigne se laisse approcher, comme une forteresse qui n’ouvre ses portes qu’aux plus patients.

🚤 Mon choix de parcours & mes attentes

La plupart du temps, à Caramassaigne, les plongeurs suivent un trajet bien rodé : descente le long de la pointe nord, exploration autour des quarante mètres, puis lente remontée vers le plateau des vingt mètres avant le retour au mouillage. C’est un parcours sûr, éprouvé, qui garantit de croiser les gorgones et leurs habitants colorés.

Il y a quelques années encore, ce tombant était une véritable cathédrale vivante. Les gorgones rouges y formaient une forêt si dense et si vaste que les plus gros mérous pouvaient s’y dissimuler sans peine. Je me souviens de ces parois flamboyantes, des congres, murènes, chapons et mostelles qui se succédaient dans les anfractuosités, des bancs de sars qui défilaient comme un rideau argenté. Et parfois, en embuscade, une meute de barracudas ou l’éclair d’un loup de mer. J’avais même monté quelques vidéos à l’époque, pour tenter de fixer cette exubérance : 

Puis vinrent les étés de canicule — 2018, 2022, 2024. La chaleur prolongée a décimé les gorgones jusqu’à trente mètres. La forêt flamboyante s’est changée en une herse grise, hérissée de squelettes, spectacle apocalyptique d’un monde blessé.

Est-ce ce souvenir encore vif, ou le désir d’échapper à la désolation des zones connues, qui m’a poussé à dévier hier du parcours habituel ? Peut-être les deux. Toujours est-il que j’ai choisi de descendre vers la partie sud du site, moins fréquentée. Parfois, il faut quitter le familier et oser l’inconnu.

🐠 Récit de la plongée

La mise à l’eau s’est faite dans un calme absolu. À mesure que nous glissions le long du tombant, la lumière s’adoucissait et les contours s’effaçaient, jusqu’à ce qu’apparaissent les premières gorgones.








Dès les dix mètres apparaissent de petits bouquets clairsemés. Ce ne sont pas d'immenses colonies, mais ça fait plaisir de voir toutes ces jeunes boutures s'acharner à s'implanter. 







Puis, en quelques mètres, tout s’est révélé : une paroi encore vivante, couverte de gorgones dressées comme une armée écarlate.

Entre leurs branches, des nuages d’anthias vibraient en suspension, illuminés par nos phares. Leurs éclats orangés semblaient danser dans le bleu, comme des étincelles arrachées au soleil. C’est là, au cœur de la zone des quarante-cinquante mètres, que Caramassaigne montre encore son vrai visage : celui d’une oasis de vie, intacte malgré les blessures des dernières années. 


Chaque recoin semblait habité, chaque anfractuosité recelait une promesse — une murène, un chapon immobile, un mérou vigilant.


Nous sommes restés longtemps, hypnotisés par cette abondance. Mais il a bien fallu remonter. Et c’est alors que le contraste s’est imposé. À vingt mètres, tout paraissait déserté : la roche nue, dépouillée de ses gorgones, offrait un spectacle sévère. Ici ou là, une mostelle timide, un sar isolé… mais rien qui puisse soutenir la comparaison avec le foisonnement du fond. Le retour ressemblait à une traversée de lande, austère, presque silencieuse.

Arrivé dans la crique, on retrouva la vie habituelle des petits fonds, toujours sublime.


Pour Greg, la plongée a laissé un goût d’inachevé. Pour moi, elle avait valeur de témoignage : Caramassaigne, c’est désormais deux visages — celui, somptueux, des profondeurs encore préservées, et celui, fragile, des zones moyennes marquées par les canicules.






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