Moyades, récits croisés de blessures et de mémoire

Une nouvelle fois, le zodiac filait vers l'îlot des Moyades, cette petite perle de calcaire posée à côté du puissant Riou.

Nichée au cœur du Parc national des Calanques, ce site en est le joyau. La vie sous-marine abonde ici, maintenant, comme dans les plus belles réserves de Méditerranée. 
Comme redeviendra toute la Méditerranée quand l'humain réapprendra la sobriété.

Nous avons amarré le Mako II sur l'une des bouées dédiées, installées par la ville de Marseille pour limiter l'impact des ancrages. 


Parcours de la plongée

L’immersion s’est faite depuis une bouée, au nord-est de l’îlot. De là, nous avons mis cap au sud-est pour rejoindre les dernières arrêtes rocheuses avant le tombant.
Passé ces arrêtes, on s'enfonce dans un petit canyon en pente raide , sorte de faille discrète mais spectaculaire, tapissée d’une vie fixée d’une densité remarquable. J’y reviendrai plus loin.
Nous avons ensuite poursuivi notre exploration par le pied du tombant, autour des 30 mètres, contournant un petit cap avant d’entamer une remontée progressive vers la zone des 15 mètres. Le tour de l’îlot s’est poursuivi en douceur, entre dix et quinze mètres de profondeur, le long de la façade sud puis ouest. À l’extrémité nord-ouest, nous avons franchi une arête rocheuse prisée des mérous, avant de revenir paisiblement au mouillage initial.



Masques ajustés, palmes aux pieds, détendeurs en bouche, les palanquées basculent de part et d'autre du bateau. Cet instant suspendu … toujours ce mélange d'impatience et de calme intérieur si puissant. Si addictif.

J’ai déjà raconté la beauté des Moyades,  ici , ou encore  .
Mais cette fois, deux graines d'idées ont germé dans mon cerveau englouti. Deux pistes que j’aimerais suivre, au fil du temps et des promenades sous-marines. Des pensées à nourrir, lentement, patiemment, au rythme de la mer.
- la première concerne les gorgones rouges — ou plutôt les signaux qu'envoient leur lente agonie.
- La seconde, les mérous. Ces seigneurs discrets que l'on ne peut s'empêcher de photographier. Toutes ces portraits accumulés, pourquoi ne pas les regrouper dans un 'trombinoscope à Mérous' ? On pourrait peut-être en reconnaître quelques-uns à force. Identifier l'un ou l'autre individu, retrouver un regard familier.

Le temps des gorgones blessées

À première vue, tout semble en place.
Les éponges tapissent les anfractuosités, les castagnoles et les anthias dansent en nuées, les gorgones balancent leurs bras dans le courant.

Gorgones rouges (Paramuricea clavata) ... si bleues sans éclairage

Première gorgone rouge à -20m

Tous les polypes dehors !

C’est beau, oui. Mais c’est une beauté d’après la tempête.

Une beauté qui parle de fragilité, de basculement.

Si l’on s’approche, on voit que les gorgones rouges ne vont pas bien.

Les canicules marines des dernières années ont laissé leurs marques profondes.
Certaines branches sont mortes, blanchies, nues. D’autres sont couvertes de bryozoaires, ou recolonisées par l’ alcyon méditerranéen — ce corail mou que l’on retrouve là où la gorgone a cédé.

La même gorgone, prise en photo à quelques jours d'intervalle.

Les gorgones rouges, ces forêts sous-marines emblématiques, sont en grave déclin. Suite aux épisodes de vagues de chaleur marine, notamment celles de 2022 et 2023, entre 80 % et 90 % des colonies situées entre 0 et 20 m et 65–70 % entre 20 et 30 m ont souffert de nécroses visibles : tissus décolorés, squelettes blanchâtres et faibles reproducteurs (source : Calanques Parc National)

Au-delà du constat, l'étude du Parc National des Calanques confirme que le problème est bien lié à la chaleur prolongée : en été 2022 ce sont 45 jours consécutifs de températures extrêmes, jusqu’à 25 °C à 30 m, qui ont provoqué cette catastrophe biologique.

Aux prochaines plongées aux Moyades, je ne manquerai pas de visiter cette zone à gorgones


Le catalogue des mérous

Et puis, il y a les rencontres plus gaies.
Un regard de mérou, fixe, immobile mais curieux, comme si lui aussi m’observait, se demandant si l’on ne s’était pas déjà croisés.

C’est peut-être de là qu’est née l’idée du catalogue.
Un trombinoscope de mérous. Juste pour voir. Pour reconnaître. Pour documenter.

C'est une idée toute jeune, toute fraîche encore immature et qui existe probablement ailleurs, mais ça n'empêche pas d'essayer. Une sorte de jeu naturaliste : noter la taille, les motifs autour des yeux qui, me semble-t-il, sont spécifiques à chaque individu, constituant une sorte d'empreinte. Qui sait, peut-être retrouverons-nous certains individus dans un mois, un an, ou jamais plus.




Et puis il y a…

…les mostelles, timides et graciles dans leur grotte.





…le chapon trônant comme un vieux sage barbu sous son surplomb.

…et cette murène, dont la joue droite portait une entaille franche, presque chirurgicale.
Un coup de filet ? Un hameçon ? Un rocher ? Mystère.
Ce n’était pas une blessure de prédation : trop nette, trop isolée. Mais le sang était vif, la chair blanche visible.

Photo 1 Photo 2

Et ce trésor de Méditerranée
Corail rouge - Corallium rubrum


Liens internes :

🌊 Liens externes :

🐠 Merci pour votre lecture ! N’hésitez pas à laisser un commentaire ou à partager vos propres observations.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Tête de Chien sur la côte bleue – Une plongée ordinaire, une aventure extraordinaire

Petits mystères sous-marins au Cap Caveau

Retour à Caramassaigne : entre forêts profondes et silences pelés