La murène de Méditerranée (Muraena helena)
La murène de Méditerranée — Entre ombre et lumière
Depuis dix ans, je croise son regard dans les anfractuosités de roche, entre deux surplombs, à la faveur d’un courant ou d’un crépuscule sous-marin. La murène de Méditerranée (Muraena helena) n’est pas rare, mais elle se mérite. Longue, sinueuse, souvent dissimulée, elle incarne à elle seule une partie du mystère du monde sous-marin.
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Sausset - Anse du petit nid - Août 2023 |
Portrait d’un serpent qui n’en est pas un
La murène n’est pas un serpent, ni même une anguille au sens strict. C’est un poisson osseux de la famille des Muraenidae, mesurant en général entre 60 centimètres et 1 mètre, parfois plus. Son corps fuselé, dépourvu de nageoires pectorales et pelviennes, est recouvert d’une peau visqueuse sans écailles. Sa robe, brune tachetée de jaune, forme une sorte de camouflage organique — l'élégance d’un animal qui ne cherche pas à séduire mais à survivre.
Son museau allongé, sa bouche largement fendue, garnie de dents acérées et recourbées, impressionne souvent les plongeurs. On oublie que cette gueule entrebâillée n’est pas une menace, mais un besoin vital : c’est ainsi qu’elle respire, en maintenant une circulation continue de l’eau à travers ses branchies.
Une chasse nocturne, au flair affûté
La murène est un prédateur nocturne. Elle sort de sa cachette au crépuscule pour traquer ses proies : petits poissons, céphalopodes, crustacés. Son flair est redoutable — elle possède un odorat extrêmement développé, bien plus que sa vue, et s’oriente dans l’obscurité grâce aux effluves de ses futures proies.
Elle chasse à l’affût, par embuscade. D’un coup de mâchoire, elle saisit sa cible et la broie grâce à ses dents puissantes. Comme la plupart des murènes, Muraena helena possède également une seconde mâchoire pharyngienne, située dans sa gorge, qui saisit et avale la proie en complément de la mâchoire principale. Ce mécanisme complexe — que l’on retrouve chez très peu de poissons — évoque presque une machinerie alien, parfaitement huilée par des millions d’années d’évolution.
Un maillon de la chaîne — ni monstre, ni victime
La murène n’est pas un monstre, contrairement à l’image véhiculée par l’imaginaire collectif. Elle n’est pas agressive envers l’humain, sauf si elle est acculée ou nourrie volontairement — ce qui fausse son comportement et peut la rendre dangereuse. En plongée, l’observer demande calme, patience, respect. Elle vit là, chez elle, dans une faille du relief rocheux, en sentinelle discrète.
Mais elle n’est pas invulnérable. Ses prédateurs naturels sont peu nombreux mais bien présents : les grands mérous notamment, certains requins, et peut-être — plus ponctuellement — des congres ou de grands céphalopodes. L’homme, bien sûr, figure aussi dans la liste, la murène étant parfois pêchée pour sa chair, malgré les risques de ciguatera dans certaines zones.
Elle participe à l’équilibre des fonds rocheux en régulant les populations de petits poissons et d’invertébrés. Par sa discrète présence, elle influence la répartition d’autres espèces — proies, compétiteurs, opportunistes.
Une mémoire de pierre et de mucus
Photographier une murène n’est pas chose aisée. Elle recule si l’on s’approche trop, ne sort que rarement en pleine lumière, et son corps sinueux rend la mise au point difficile. Pourtant, image après image, année après année, elle a tissé sa place dans ma mémoire de plongeur. À travers mes objectifs successifs, je l’ai vue dans toutes les saisons de l’eau : au calme, par mer d’huile, ou dans le ressac et les frimas de l’hiver.
Elle est un fil vivant entre la roche, l’obscur et le mouvement. Une forme qui semble appartenir autant à la terre qu’à la mer. Une créature des seuils.
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