Rencontre avec une grande cigale de mer dans les Calanques
Ce samedi, en fin de plongée dans le Parc national des Calanques, à une dizaine de mètres de fond, nous avons eu la chance rare de croiser l’un des habitants les plus discrets de la Méditerranée : une grande cigale de mer (Scyllarides latus).
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Mimétisme - [Capture vidéo GoPro 11 avec lentille] |
Posée sur un petit promontoire, presque immobile, elle semblait posée là depuis toujours. Son corps aplati, ses larges antennes en forme de palettes, sa teinte brun-violacée la confondaient avec la roche. Nous l’avons observée longuement, à distance, dans le silence suspendu de la fin de plongée, malgré une eau à 16°. Une rencontre paisible, précieuse, qui laisse une trace.
Un crustacé fascinant
La grande cigale de mer est un crustacé décapode, cousine méconnue de la langouste. Elle vit dans les fonds rocheux de la Méditerranée et de l’Atlantique proche, de préférence entre 10 et 100 mètres de profondeur. C’est une espèce nocturne, très discrète, qui passe ses journées cachée dans des anfractuosités, ne sortant qu’à la nuit tombée pour se nourrir de petits mollusques, crustacés ou charognes.
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Avec éclairage - [Capture vidéo GoPro 11 avec lentille] |
Elle peut atteindre 45 cm, mais cela prend du temps. Sa croissance est lente, sa reproduction tardive. C’est une espèce vulnérable, dont la pêche est interdite en France depuis plusieurs années — une protection bienvenue pour une espèce encore trop souvent victime de captures accidentelles, ou de prélèvements « pour le plaisir ».
Une longue vie cachée
Estimer l’âge d’une cigale de mer est un exercice difficile. Contrairement aux poissons, elle ne possède pas de structures permettant de lire des anneaux de croissance. Les chercheurs s’appuient donc sur des observations indirectes : cycles de mue, marquages et recaptures en milieu naturel, modélisations en captivité.
Longueur de l'antenne : + de 10 cm [Voilà pourquoi j'emmène cet accessoire sous l'eau, Carro ;)] |
D’après ces travaux, une cigale de mer adulte comme celle que nous avons vue pourrait avoir entre 10 et 15 ans, peut-être davantage. Ces animaux vivent cachés, lentement, loin des regards. Ils occupent leur abri pendant des années, construisant leur vie minérale dans les creux de la roche. Et il suffit parfois d’un geste humain pour tout arrêter.
Une mer à respecter
En tant que plongeurs, nous vivons des instants rares : croiser un regard, surprendre un mouvement discret, deviner une silhouette immobile dans l’ombre d’une faille. Ces moments nous rappellent à quel point la vie marine est riche, fragile, irremplaçable.
Et pourtant, cette vie subit chaque jour des pressions multiples. Parmi elles, la pêche de loisir, lorsqu’elle prélève des animaux juste pour l’expérience, juste pour le plaisir, sans nécessité ni urgence. Il y a là quelque chose qui nous échappe. Nous ne comprenons pas toujours ce besoin d’arracher au vivant ce qui pourrait simplement être regardé, respecté, admiré.
Scyllarides latus - [ Photo TG5 ] |
Chaque rencontre sous-marine est pour nous une forme de lien. Une invitation à laisser ces êtres tranquilles. À choisir l’émerveillement plutôt que la possession. À préférer la contemplation à l’appropriation.
Un sanctuaire qui renaît
Cette rencontre n’aurait sans doute pas été possible il y a quelques décennies et personnellement, en quinze ans de plongée, c'est la première fois que j'en croise une. Grâce à la création du Parc national des Calanques en 2012, et aux efforts de protection mis en œuvre depuis, certains secteurs de la Méditerranée commencent lentement à se régénérer. Les effets sont visibles : la faune revient, les habitats se reconstituent, et des espèces autrefois rares, comme la grande cigale de mer, réapparaissent dans des zones où elles avaient disparu.
Nous devons beaucoup à celles et ceux — scientifiques, gestionnaires, citoyens engagés — qui ont cru en cette restauration possible. Leur action a permis de recréer, en une dizaine d’années, un véritable refuge pour la vie marine, un espace témoin de la beauté de la nature sauvage.
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