Là où la vie s’accroche – L’alcyon et les gorgones, un espoir dans les profondeurs du parc des Calanques
Depuis plusieurs années, je plonge régulièrement dans les eaux extraordinaires du parc national des Calanques, et notamment aux Moyades, ce jardin sous-marin où se mêlent falaises immergées, surplombs ombragés, et forêts de gorgones pourpres (Paramuricea clavata). C’est un lieu que je croyais immuable. Et pourtant, plongée après plongée, je suis le témoin d’un bouleversement silencieux.
Les Moyades - Tombant Est - Mai 2025 |
Les canicules marines répétées, les proliférations d’algues filamenteuses, les eaux qui s’échauffent au-delà de ce que ces organismes peuvent supporter : les gorgones déclinent. J’ai vu leurs ramures se nécroser, blanchir, se dévêtir peu à peu de leur chair pour ne laisser qu’un squelette rigide, dénudé.
Mais là où l’on pourrait croire la vie suspendue, un autre récit se trame.
La surprise d’une résilience
Car ce que j’ai observé ces derniers temps me trouble et me ravit : sur ces squelettes apparemment morts, d’autres formes de vie prennent place. Les premières à revenir semblent être des colonies d’alcyon méditerranéen (Alcyonium acaule), ces coraux mous aux allures de petits buissons orangés, charnus et vibrants, qui viennent tapisser les branches nues, comme si la vie elle-même refusait de s’effacer.
Ce n’est sans doute pas anodin.
L’alcyon est un organisme opportuniste, capable de coloniser rapidement un support solide dans les zones ombragées. Les restes de gorgones nécrosées offrent un relief, une surface, une opportunité. L’alcyon, discret mais tenace, semble en profiter pour tisser un nouveau récit sur les ruines de l’ancien.
Polype d'Alcyon : si faible seul, si puissant en tant que maillon. |
Un cycle, un relais
Je ne suis ni biologiste ni chercheur, mais je suis un témoin. Et ce que j’observe là ressemble à un cycle de relève. Un relais de la vie. Quand les bâtisseurs d’antan s’effondrent, d’autres prennent leur place, s’emparant de la moindre faille, de la moindre accroche, pour faire renaître du vivant.
Ce processus, que les scientifiques appelleraient sans doute « succession écologique », me paraît ici plus fondamental : il est le signe d’une résilience, d’une obstination du vivant à s’accrocher, même dans les interstices laissés par la destruction.
Un monde à la fois blessé et vibrant
Ce n’est pas une bonne nouvelle. Car rien ne remplace la gorgone dans son rôle d’architecte sous-marin, d’habitat foisonnant pour de nombreuses espèces. L’alcyon ne reconstruit pas l’écosystème tel qu’il était. Mais il tisse malgré tout un fil de continuité. Il maintient une présence, une texture de vie, là où le silence aurait pu s’installer.
Cela me bouleverse.
Car ce que nous voyons en Méditerranée n’est qu’un fragment d’un bouleversement planétaire. Nous détruisons, parfois sans même comprendre ce que nous perdons. Et pourtant, la nature, dans son humilité puissante, continue à œuvrer. À réparer. À réinvestir.
Conclusion
Ce petit alcyon, que j’aurais à peine remarqué il y a quelques années, me paraît aujourd’hui presque héroïque. Il n’est ni spectaculaire, ni emblématique. Mais il est là. À sa place. À la nôtre, peut-être, si nous savions vivre avec patience, modestie, et ténacité.
En l’observant, je me souviens que la vie n’abandonne jamais tout à fait.
Et qu’il n’est jamais trop tard pour la voir, l’écouter… et peut-être, la protéger.
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